La seconde clinique de Lacan élargit le concept de symptôme, hérité de Freud, en y incluant de façon essentielle ces restes symptomatiques qui subsistent à la fin de l’analyse et qui conduisent Freud à prendre en compte une part inéliminable du symptôme. C’est pourquoi Lacan l’appelle sinthome, dans l’orthographe ancienne qu’il a restituée – s.i.n.t.h.o.m.e –, comme ce qui est proprement le nom de l’incurable. En effet, le sinthome nomme ce qui ne changera pas, ce dont on ne guérira jamais, car c’est précisément ce qui fonde notre existence, soit ce dont on se sustente dans la vie, notre mode de jouir radicalement singulier.
En un sens, Lacan avait anticipé les conséquences de l’idéologie contemporaine de l’égalitarisme universel, qui prennent la forme d’une dépathologisation généralisée. Aujourd’hui, c’est la clinique elle-même, qui, dans son ensemble, est mise en question, toujours suspecte de promouvoir des catégories ségrégatives.
Est-ce à dire que la psychanalyse est un phénomène de civilisation en parfaite syntonie avec le mouvement du monde ? Non. À l’encontre des préjugés idéologiques actuels, qui déconceptualisent la clinique et tendent à miser sur la volonté des sujets, sur fond de déni de l’inconscient, la dépathologisation lacanienne n’efface pas les distinguos structuraux, et, au contraire, met en relief les arêtes du mode de jouissance. La clinique n’est pas ici visée pour elle-même, mais sert d’instrument pour s’orienter dans l’interprétation au principe de la méthode analytique.
Les contributions réunies dans le présent volume, fruits d’une « élaboration soutenue dans un petit groupe » nommé cartel par Lacan, examinent, un à un, à la fois les fondements conceptuels et les conséquences dans la pratique et la clinique de la proposition mise à l’étude. Sous la coordination de Gustavo Stiglitz, 23 cartels, 113 psychanalystes, 7 responsables d’édition, par-delà les langues et les pays, ont travaillé sur des textes préparatoires au XIVe congrès de l’AMP, dirigé par Gil Caroz et Ligia Gorini.
À leur manière, ces textes démontrent que si la psychanalyse résiste au mouvement de civilisation évoqué ici, c’est au nom de la pratique analytique qui existe bel et bien et dont l’offre mérite de durer longtemps. Oui, la psychanalyse est une praxis qui vaut, bien au-delà de sa valeur thérapeutique, comme cause d’un désir inédit.
Christiane Alberti
Présidente de l’AMP